Le vitrail, tâche artistique majeure, fait de nos jours l’objet de rares commandes.
Evènement exceptionnel: en 2010, l’église parisienne Saint-François-de-Sales s’illumine de sept nouveaux vitraux signés Małgorzata Wojnarowska-Rançon.

 

L’APGEF remercie chaleureusement Joanna Kujawska et Nadine Lestrade pour la mise à disposition de cet article intitulé Małgorzata Rançon – Magnifier la lumière. Il est publié dans les ECHOS DE POLOGNE n°132 de Juin 2012 (www.echos.pl) et figure sur notre site avec l’aimable autorisation des auteurs.

Małgorzata Rançon est une artiste qui rayonne. Son talent, son énergie et sa profonde sensibilité lui permettent de façonner des matières aussi nobles que l’or et le verre.

Trésors de l’enfance

Malgorzata Rançon avec Agostonho Lopes, chargé de chantier à l’église Saint-François-de-Sales.

L’artiste grandit à Sanok surnommée « la porte des Bieszczady », verdoyante cité historique située au pied des Carpates.  Tout y nourrit son inspiration : le musée historique et son impressionnante collection de plus de sept cent icônes orthodoxes, le château de chasse médiéval de la reine Bona Sforza ou le skansen, musée ethnographique à ciel ouvert. C’est ici que commence La Voie des icônes, itinéraire de 70 km jalonné d’anciennes églises orthodoxes et uniates en bois, patrimoine mondial de l’UNESCO. Cracovie, berceau et sépulture des souverains polonais, n’est pas loin. Dans les années 1970, Małgorzata Wojnarowska y étudie l’urbanisme, puis, durant douze ans, travaille pour l’Office de l’Urbanisme de la ville. En parallèle, elle suit des cours d’architecture et participe aux projets de construction de plusieurs églises. En période de  vacances, sa passion de l’escalade  et de la haute montagne la guide vers Chamonix. Lors d’un séjour estival, elle y rencontre Christophe Rançon, son futur époux. Pour lui, elle quittera sa région, sa famille, son travail et partira le rejoindre en France.

Déplacer les montagnes

En 1986, le couple s’installe dans le 17ème arrondissement de Paris et quatre enfants viennent successivement agrandir la famille. Christophe, industriel et violoniste passionné, se met à son compte en 2006 en rachetant l’Instrumentarium, distributeur leader de harpes et pianos. Son salon de vente parisien, rue de la Boétie, jouxte la prestigieuse Salle Gaveau tandis que le magasin de pianos et la librairie musicale s’installent à Tours. Małgorzata lui prête main-forte dans le développement de cette entreprise devenue familiale. Elle renforce le partenariat avec les restaurateurs de pianos de Kalisz en Grande-Pologne, conduit la conception et le design d’espaces commerciaux. En parallèle, elle se spécialise dans la restauration à la feuille d’or des harpes qui leur sont confiées. Son énergie créatrice est contagieuse. Dans cette famille, à chacun sa muse, entre parents et enfants, les passions artistiques sont multiples et se renforcent mutuellement : musique, histoire de l’art, peinture, stylisme (création de robes de concertistes et d’apparat). Ici gouvernent archer, pinceau, ciseaux ! L’été, la famille entière se retrouve en Aveyron dans la propriété médiévale. Sous l’œil attentif de Małgorzata, sont entrepris des travaux de restauration du domaine : aujourd’hui, lieu privilégié de rencontres artistiques à l’occasion de concerts et d’expositions.

Sculpter la lumière

Travailler le verre, c’est travailler la lumière. Les vitraux modifient l’ambiance d’un lieu selon l’heure et le temps. Les jeux de transparences chatoyantes procurent à l’édifice religieux une atmosphère propice au recueillement. Depuis l’époque médiévale, le vitrail appelé « Bible des illettrés », a pour vocation de rendre accessibles à tous, par l’image, les textes sacrés. Son apogée se situe au XIIe siècle. Le gothique apporte une technique parfaitement maîtrisée au service d’une iconographie élaborée. A cette époque, l’exercice de l’art du maître verrier conférait à ceux qui le pratiquaient un titre de noblesse et leur réservait des privilèges particuliers, comme le droit de pénétrer à cheval à l’intérieur de l’église gardant son épée au côté. La France possède plus de vitraux que l’ensemble des pays du monde. Le somptueux héritage artistique des cathédrales ne cesse d’être une source d’inspiration pour les artistes. Ainsi, à l’aube du XXe siècle, de célèbres peintres se mesurent aux techniques néomédiévales en créant des vitraux d’église, comme Henri Matisse (Chapelle du Rosaire à Vence) ou Georges Braque (Eglise Saint-Valéry à Varengeville-sur-Mer). A partir des années 30, une nouvelle technique fait l’objet d’investigation de la part du maître-verrier Gabriel Loire, son inventeur. Il s’agit du vitrage en dalle de verre. Trente ans plus tard, le prolifique peintre-verrier et poète Henri Guérin poursuit les recherches en apportant « le jeu de coloration dans la masse » par la taille des dégradés dans l’épaisseur du verre. En Pologne, si les vitraux les plus anciens ont survécu à Torun (XIVe), l’époque contemporaine apporte les plus belles œuvres signées Stanisław Wyspianski (1869-1907) et Józef Mehoffer (1869-1946) dans les églises de Cracovie et au château de Wawel. L’art du vitrail traverse les âges.
C’est en l’an 2000 que Małgorzata Rançon se découvre une véritable passion pour cet art lors de la réalisation d’une œuvre en dalle de verre pour la nouvelle église Saint-François-de-Sales à Paris. L’histoire particulière de cette paroisse mérite d’être rappelée. En effet, l’ancien édifice voit le jour en 1880 grâce aux dons des fidèles, mais revient dans le giron de l’Etat à la suite de la loi de 1905. En réponse à cette dépossession, les habitants décident en 1911 d’unir leurs efforts afin de financer la construction d’une nouvelle église. Elle leur sera propre, elle sera plus grande et engagera un travail collectif pour son aménagement. A l’aube du XXIe siècle, il reste ainsi huit fenêtres à « habiller ». En 2002, le père Goudey lance la réalisation du premier vitrail en dalle de verre. Le thème en sera L’Arbre de Vie d’après le projet de Maurice-Edouard Berton. Paroissienne active, c’est tout naturellement que Małgorzata Rançon fait partie des volontaires qui y contribuent. Douée d’un talent artistique unanimement reconnu, elle se révèle irremplaçable. Cinq années plus tard, le père Pascal Gollnisch, nouveau curé, lui confie la réalisation des sept vitraux restants sur le thème de la Création du Monde. A la même époque, le cloître des dominicains de Cracovie accueille les meilleurs maîtres verriers européens lors de l’exposition Lumen, Lumen II proposée par l’Association Witraze 2000 dirigée par Ewa Grzech, en collaboration avec l’Association des vitraux de Chartres. Małgorzata participe à son organisation et affirme sa passion pour le travail du verre. « Pour apprendre à bâtir une œuvre de lumière, tout maître-verrier a son éveilleur, son aîné qui l’initie à dominer le matériau », dit le maître-verrier Henri Guérin. Pour Małgorzata, cet initiateur sera le père Bernard Deschamps.

Quand la patience des mains nourrit l’esprit

Małgorzata Rançon excelle dans la restauration à la feuille d’or des harpes.

La densité du verre tient du sable, du feu et du souffle. Les colorations s’acquièrent grâce à la haute température de cuisson. Il y a des vitraux peints à l’émail, d’autres à la grisaille, certains sont sertis de plomb, d’autres encore de cuivre. Ceux que réalisera Małgorzata à Saint-François-de-Sales seront en dalle de verre épaisse de 2 à 3cm, hauts de 3m et sertis dans le béton. Trois années de travaux artistiques et artisanaux, individuels et en équipe sont engagées. Le projet fait l’objet d’une concertation continue entre la créatrice, le père Pascal Gollnisch et le conseil paroissial. A chaque métier sa cadence : il est essentiel pour l’artiste verrier de commencer par étudier son environnement de travail, le lieu, l’orientation, l’éclairage et la hauteur des ouvertures. La phase de conception donne lieu à la réalisation d’une maquette ; reportée à l’échelle 1/1, en couleur, elle devient « le carton » reproduit ensuite sur un calque dont chaque calibre est numéroté puis découpé. C’est selon ce patron que les 500 pièces qui composent un vitrail sont découpées à la meule dans la dalle de verre, puis profilées à la martéline. Une fois le vitrail reconstitué en atelier, du béton est coulé dans les jointures. L’homme-orchestre des travaux d’entretien de l’église, Agostinho Lopes, assiste Małgorzata à chaque étape de ce travail ; ensemble, ils réalisent les gestes techniques faisant appel tour à tour aux compétences de menuiserie, huisserie et maçonnerie. Jean-François Chéry, sacristain, les aide à effectuer le montage dans les embrasures. Quittons les échafaudages : désormais, c’est de l’intérieur de l’édifice, en levant les yeux, que l’on découvrira l’œuvre et que l’on en mesurera l’inspiration spirituelle. Les vitraux de Małgorzata se placent entre abstraction et figuratif. Coloriste particulièrement sensible, elle exprime la symbolique biblique aux travers de subtiles compositions iconographiques. Les contrastes chromatiques et assemblages de couleurs s’harmonisent et se renforcent entre eux. Ils sont saisissants par leur jeu rayonnant de lumière et la dynamique qui s’en dégage. Dans l’église, la magie opère. Les reflets scintillants se prolongent sur les parois et sur le sol. Le jour, ces tableaux content en couleurs les Écritures saintes et le soir venu, les nervures blanches du ciment dessinent les contours des images endormies.
C’est le 10 juin 2010 que les vitraux de la Création du monde sont inaugurés. La communauté paroissiale se rassemble autour d’une cérémonie religieuse et d’un concert. La Camerata de l’Auxerrois (dir. Hugo Crotti) et le Jeune Choeur de l’Ile-de- France (dir. Francis Bardot) interprètent des extraits de La Création de Joseph Haydn. L’invité de cette célébration, le rabbin Tom Cohen, commente les écritures et chante Shabbat Shalom. « Chrétiens et juifs de notre quartier ont pu partager une lecture croisée de ce texte de la Création », dira plus tard le père Gollnisch.

L’or et la harpe – un accord parfait

De l’art monumental des vitraux en dalle de verre, Małgorzata Rançon sait passer presque sans transition à un travail « épaisseur micron ». Elle excelle dans la restauration à la feuille d’or d’objets anciens et notamment des harpes. A chaque métier ses formules : le doreur recourt au coussin à dorer revêtu de peau de veau dégraissée, au brunissoir en pierre d’agate, ou encore au pinceau en poils d’écureuil. Pour restaurer une surface, Małgorzata s’applique, après brossage, à poser le blanc de Meudon en plusieurs couches. Cet apprêt, bien séché, garantira une bonne tenue de l’or. Ensuite, elle recouvre la surface de terre rouge d’Arménie qu’elle ponce soigneusement. Vient enfin la pose délicate de l’or en feuilles libres – portes et fenêtres fermées pour éviter tout courant d’air. Un souffle suffira à déplisser la feuille d’or ; puis, le tout est poli à l’agate. Dernier geste indispensable : la pose de la couche de résine protectrice. Le résultat éblouit, la harpe peut reprendre le chemin de la salle de concert. Embellir l’habillage contribue à la magie musicale offerte par l’interprète à son auditoire.
Ainsi, de l’aura des vitraux à l’or des harpes, Małgorzata est bâtisseuse de lumière et d’accords parfaits. Aujourd’hui, porteuse de compétences rares, elle mûrit l’idée d’enseigner en créant une école. Les maîtres-verriers, souvent méconnus, jouent invariablement, en véritables passeurs, un rôle majeur dans l’art de la transmission du sacré. Małgorzata Wojnarowska-Rançon s’inscrit pleinement dans cette tradition.

Joanna Kujawska
collaboration Nadine Lestrade


Ressources:
www.saintfrancoisdesales.net, www.sanok.pl, www.harpe.com, www.paulinerancon.com

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