Entretien avec Marzena Sowa, par Charlotte Guériaux, vendredi 17 octobre 2014
Marzena Sowa est l’auteur de la bande dessinée Marzi qui raconte son enfance en Pologne sous l’ère communiste, illustrée sous les traits de crayon de son ami Sylvain Savoia. Marzena revient aujourd’hui avec une nouvelle bande dessinée portant sur l’un des évènements les plus sombres et les plus fondamentaux de l’histoire et de l’identité polonaises : l’Insurrection de Varsovie.
Marzena est à la fois une écrivaine pour la bande dessinée, une philosophe et une dessinatrice en herbe. Balançant comme moi entre la Pologne, la France et la Belgique, elle nous fait découvrir – et redécouvrir – l’histoire polonaise par son verbe et son regard, bien souvent critique et toujours très juste. J’ai découvert Marzi à Cracovie pendant mes études à l’Université Jagellonne et je suis heureuse de retrouver le talent de Marzena à nous raconter l’Histoire par le prisme de ses propres histoires et souvenirs.
Dans ce premier tome, Alicja et Eward s’aiment dans le Varsovie occupé où l’entraide est bien nécessaire « avant l’orage » et les temps troubles de l’Insurrection…
1. Marzena, quelles sont vos sources d’inspiration ? Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écriture de bandes dessinées ?
En Pologne, à l’époque de mon enfance, on ne lisait pas de bandes dessinées, et celles qui s’y trouvaient étaient souvent connotées « pour garçons », ou pour des personnes qui n’ont pas la patience de lire des romans. C’était par exemple Thorgal ou des comics US. Maintenant, les bandes dessinées européennes arrivent en Pologne et l’image de cet art change, le lectorat aussi. La première bande dessinée que j’ai lue, c’était « Tarzan », j’avais dix ans à ce moment-là. La suivante, c’était « Les Pilules bleues » de Frederik Peeters, j’avais vingt-trois ans. Et c’est Sylvain Savoia qui a mis cette bande dessinée dans mes mains. Il était dessinateur de BD depuis une vingtaine d’années. C’est avec lui que tout a commencé pour moi. Un jour, je lui ai raconté le Noël polonais, la carpe dans la baignoire, le partage du pain azyme. Ainsi, dans mes histoires il a découvert un pays qu’il ne connaissait pas. Il m’a incitée à écrire. Pour ne pas oublier. Et c’est ce que j’ai fait. Il lisait mes écrits au fur et à mesure et à un moment donné, il s’est dit que peut-être, il serait intéressant de partager cette histoire, mon histoire, avec d’autres personnes. Ainsi « Marzi » est né.
Moi, au départ, j’écrivais juste pour moi. Mais ma vie n’est plus en Pologne, elle est ici. J’écris pour le souvenir. J’écris sur une Pologne qui n’existe plus. J’écris aussi pour Sylvain et moi, pour qu’il me découvre, pour qu’il me connaisse mieux.
Je suis ainsi arrivée à la BD en tant que lectrice et auteur. Aujourd’hui, je dois rattraper tout le retard. Quand j’ai rencontré Sylvain, il m’a dit qu’il faisait de la BD. Je me demandais, qu’est-ce que ça veut dire ? Quand je lisais un roman, l’écriture était pour moi comme un fantasme. D’un coup, je me suis retrouvée de l’autre côté. Alors quand il m’a dit qu’il était auteur de BD, à Bordeaux, je suis allée à la FNAC au rayon BD et c’est un horizon énorme qui s’est ouvert devant mes yeux. Comme quoi, dans la vie, on passe à côté de belles choses sans s’en apercevoir… Mes lectures du début, c’étaient: Les pilules bleues, L’autoroute du Soleil de Baru, Lapinot de Lewis Trondheim, « Henriette » de Dupuy et Berberian. J’ai créé mon propre goût pour la lecture de BD. Tout ce qui nous plaît nous inspire. Alors j’ai donné la matière, mon enfance. Ma vie c’est un OVNI : de la BD avec beaucoup de texte. C’est comme un album photo avec des légendes.
2. Comment avez-vous eu l’envie d’écrire sur l’Insurrection de Varsovie ?
Pour l’insurrection, il y a eu beaucoup de facteurs.
Tout d’abord, un jour à Bruxelles, dans une librairie de livres usés, je suis tombée sur un recueil de poèmes polonais des poètes de l’insurrection. J’adore la poésie, ça a été comme un signe… car il y a peu de livres en polonais.
C’est aussi une rencontre, celle avec Krzysztof (Gawronkiewicz). Et c’est aussi suite à ce que j’ai découvert à Varsovie. Je n’aimais pas cette ville, je m’y sentais petite et mal à l’aise, écrasée par les constructions. C’est différent de Cracovie, qui est à la hauteur des hommes. Varsovie, c’est très communiste et cela rappelle combien l’homme est petit et vulnérable. J’ai regardé des livres de photos avec Varsovie d’avant la guerre. C’était tellement différent. Je me suis alors rappelé l’histoire qu’on m’enseignait au lycée, mais à l’époque, je l’apprenais car il le fallait et non parce que je le voulais. C’est juste là que je me suis sentie grande et prête pour cette histoire. J’ai plongé là-dedans. Gawron était là pour m’assister. Il m’a fait découvrir la ville, sa ville. Il me l’a fait aimer. Ainsi est née l’envie de faire un livre ensemble justement à ce sujet.
En Pologne, surtout à Varsovie, l’insurrection est très présente sur les lèvres de tout le monde. Mais une fois que je rentre à Bruxelles, je suis limite la seule à en parler. Très souvent même dès que je dis le mot « insurrection », les gens disent « ah oui, celle du ghetto de Varsovie »! Cette confusion entre les deux insurrections persistent parce que celle de Varsovie de 1944 n’est pas connue. C’était une raison de plus pour en parler dans une bande dessinée.
3. Marzi est une œuvre franco-polonaise avec Sylvain. Votre nouvel album est avec un dessinateur polonais : comment s’est faite cette collaboration ? Qu’est-ce qui a changé dans votre manière de travailler et de parler des évènements ?
L’insurrection, par rapport à Marzi, c’est une fiction, les personnages n’existent pas. Comme pour Marzi, il y a eu beaucoup de documentation. Pour le travail avec Sylvain, c’était plus évident car c’est chez moi, dans l’appartement de mes parents. L’histoire est personnelle. C’est la mienne, c’est mon vécu.
Dans l’insurrection, il a fallu encore plus de documentation car on n’a pas connu personnellement cet événement, on doit le reconstruire selon ce qu’on a su, connu, entendu. Il y avait beaucoup de vérifications historiques, pour ne pas mentir et pour ne pas faire d’erreurs. S’il y a des erreurs, les Polonais vont le voir tout de suite. C’est une mémoire collective. L’insurrection a duré 63 jours, faire des choix de ce qu’on raconte, on ne peut pas tout dire, on ne fait pas de BD historique, elle n’a pas cette prétention. Cela dit, il ne faut pas que ce soit oublié. A Varsovie, tout le monde en parle. A Bruxelles, personne.
Krzysztof, lorsqu’il travaillait sur l’Insurrection, habitait dans l’appartement de son grand-père. Cette maison n’a pas été détruite pendant l’insurrection. La décoration d’intérieur est de l’époque. Quand je lui rendais visite, j’avais l’impression de plonger dans ma bande dessinée. Il vivait dans un décor authentique. C’était une aide très précieuse.
4. Vous aimez écrire sur la Pologne… Quelle est votre vision de la société polonaise actuelle ? Sur la Pologne en Europe ?
Tout a commencé avec Marzi. Ensuite, il y a eu « N’embrassez pas qui vous voulez » sur le stalinisme. Et maintenant « L’insurrection ». C’est vrai qu’on peut avoir l’impression que je ne fais que parler de la Pologne. Mais à travers cela, j’essaie de faire vivre des émotions, de montrer des gens simples, de montrer comment ils s’adaptent à des univers dans lesquels il leur est donné de vivre. C’est l’humain qui m’intéresse.
Et la Pologne là-dedans… Je m’en suis éloignée géographiquement, mais paradoxalement elle m’est devenue plus proche. Je la porte en moi où que j’aille. Je vais encore écrire sur la Pologne, sur les Polonais, parce que ça m’est vital et ça m’intéresse. Mais je ne fais pas que cela. J’ai d’autres bandes dessinées en préparation où le mot Pologne n’apparaît pas. Et même s’il n’apparaît pas, le livre est écrit par moi, donc une Polonaise, avec ses fautes de français, son éducation polonaise, sa sensibilité, sa vision du monde sûrement marqué par les 22 années passées dans la Pologne.
Je n’envisage pas retourner vivre en Pologne, mais par moments j’ai juste envie d’y aller pour deux trois mois, me poser à Varsovie, observer et écouter des gens. Je n’ai pas envie que ce pays me devienne étranger. J’en ai peur parfois, car dès que j’y retourne, on me dit: « chez toi, (donc à Bruxelles), c’est différent, c’est mieux ». Mais dès que je suis à Bruxelles, on me traite de Polonaise. J’essaie de me frayer mon chemin dans tout ça. De ne pas oublier qui je suis, de ne pas me perdre. Mais c’est un peu comme la Pologne, toujours à la recherche de son identité.
5. Maintenant, quelques questions du tac au tac. Quelle est… ?
Votre BD préférée ? Mafalda
Votre modèle ? Jodie Foster
Artiste polonais qui vous inspire ? Kieslowski
6. Quels sont vos projets pour la suite ? Vous avez un certain talent pour l’écriture. Est-ce qu’un jour Marzena Sowa passera à autre chose ?
Pour l’instant je reste à la BD. Depuis bientôt trois ans, je suis des cours de dessin. Au départ, c’était pour mieux visualiser mes textes, pour m’aider dans la construction visuelle de mes histoires. Mais je prends beaucoup de plaisir à dessiner. C’est aussi très intense et ça demande énormément d’énergie. Un jour lointain, j’aurai peut-être envie de faire un livre illustré, toute seule. Qui sait…