Elżbieta Jeznach – La Marionnettiste et sa fine équipe
L’APGEF remercie chaleureusement notre correspondante Joanna Kujawska pour la mise à disposition de 5 articles de fond publiés en 2011 relatant le parcours d’artistes polonais contemporains de renommée internationale. Cet écrit a été publié dans les ECHOS DE POLOGNE en mai 2011 et figure sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Elżbieta Jeznach dirige sa compagnie parisienne Miettes de Spectacles comme à la baguette magique. Inspirée par la dérision poétique de Roland Topor, par le surréalisme d’Agnieszka Taborska mais aussi par l’état de la planète Terre, elle oscille entre réalité et illusion tout en associant humour et profondeur.
Espiègle et inventive, Elzbieta nargue notre trop plein de rationnel en lui opposant un monde de fantaisies enfantines, poétiques et parfois cruelles. Participer à l’une de ses représentations équivaut à renouer avec notre enfance. Mais, cette cure de jouvence intérieure a un prix, elle implique de pénétrer sans faux-fuyant, le temps d’un soir, dans l’univers des marionnettes, ombres et masques.
A pieds-joints dans l’imaginaire
Le mot Marionnette, diminutif signifiant « petite Marie chérie » puise sa source dans les processions moyenâgeuses en honneur de la Vierge Marie. Puis par extension, il désigne toute figurine, sacrée ou profane. Enfin, dès la renaissance jusqu’à à nos jours, il s’applique à l’univers spécifique du théâtre d’effigie. Elzbieta Jeznach, originaire de Gdansk, depuis l’enfance fascinée par la création scénique, appartient à cette véritable famille internationale que forment les marionnettistes. Après des études de théâtre en Pologne, elle fait dans les années 1990 ses premiers pas à Paris. Sa mallette magique renferme toute une troupe de marionnettes. Son attention est tournée vers des écrits contemporains humoristiques et philosophiques. A ses débuts Elzbieta est étalagiste, mais sa passion pour le spectacle la conduit vite au cœur de l’univers théâtral. Des rencontres décisives ont lieu : le metteur en scène new-yorkais de renommé internationale Roman Paska, le charismatique François Lazaro, enseignant à l’Ecole nationale Supérieure des arts de la marionnette ESNAM et à l’Institut d’Etudes théâtrales Paris III Sorbonne Nouvelle. Il est directeur du Clastic-Théâtre d’envergure internationale et collabore avec notamment le Théâtre Banialuka de Bielsko-Biala, en Pologne. Lazaro encourage ses élèves à travailler sur de grands textes d’auteurs contemporains en osant les adapter. Cette période fertile correspond aussi pour Elzbieta à sa rencontre avec Roland Topor. Elle débute dans l’écriture, fait ses premiers pas dans la mise en scène et crée des scénographies. Évolution logique : dès 1997 elle dirige sa propre Compagnie Miettes de Spectacles. Familière du Festival Mondial des Théâtres des marionnettes de Charleville et du Festiwal Lalka tez czlowiek de Varsovie et de Kwidzyn , son théâtre d’objets et d’ombres reçoit de nombreux prix. Car Elzbieta innove en créant une troupe professionnelle d’enfants marionnettistes. Durant cinq années, grandissant avec Miettes de Spectacles, les enfants Nina, Léa, Rodriguez, Vivien et Oscar jouent avec Elzbieta des pièces comme « La Marelle » ou « Lumière sauvage », ou des adaptations des textes de Roland Topor.
Roland Topor, « l’art vénéré de manipulation réciproque »
Roland Topor (1938-1997), de parents émigrés polonais, depuis le plus jeune âge fait son marché dans le bric-à-brac d’évènements du quotidien. Il sait en extraire la sève, drôle ou insolite, qui irrigue son œuvre. Dresseur de rêves, et éleveur de mots, durant toute sa vie Topor adapte la réalité en explorant le féerique et l’étrange, en prônant l’amusement et le plaisir. Ses textes et dessins s’attachent à protéger et à révéler la richesse de l’imaginaire enfantin. Oscillant entre allégresse, émotion, et profondeur, Elzbieta explore ses écrits savoureux et son graphisme ingénieux. Les représentations Alice au pays des lettres, Sacré Proutto, l’Ambigu, Un Monsieur tout esquinté ou le texte inédit Professeur Galopin, s’en inspirent de très près. Nicolas Topor, fils, auteur et peintre, participe activement à cette élaboration.
C’est avec succès qu’Elzbieta transpose des écrits de Topor dans un théâtre d’objet. Alice au pays des lettres, jouée plus d’une cinquantaine de fois, en est un exemple édifiant. La pièce entraine le spectateur sur un terrain où des sentiments graves s’expriment simplement.
« Il pleut. Alice s’ennuie, elle espère une lettre de son père. Surgit la lettre A qui entraine Alice au pays de l’alphabet, peuplé de lettres loufoques aux caractères bien trempés. Toutes rêvent de participer à un casting pour rédiger une lettre sentimentale. » Mesdames Grammaire et Syntaxe y règnent en dictateur. Une révolte éclate et gagne. Le désordre s’en suit : sans logique ni règles tout se mélange. « Alice ne comprend plus rien, cherche à fuir. On entend une sonnerie, un facteur apporte une lettre, de qui? »
Simultanément, Elzbieta s’adresse aux petits et aux grands. La transmission de la culture et de la langue demande à être portée par une relation d’amour. Le syndrome du vide, – absence réelle, manque de temps, défaut de communication, – frappe beaucoup de familles. Quelques mots écrits au bon moment peuvent en partie compenser une absence parfois trop lourde à porter. Une manière poétique et ludique d’aborder des questions essentielles !
Et puis, il y a ceux qui collectionnent les tableaux de maîtres et ceux qui se contentent de coquillages. Le Professeur Galopin, lui, est spécialisé dans le dessin d’enfants. Personnage haut en couleurs, le grand collectionneur et conférencier du Musée Nomade du Dessin d’Enfant, voit dans les productions graphiques enfantines des œuvres d’art à part entière. Tel un acte de reconnaissance, ce spectacle-performance vante leurs valeurs inestimables. Les petits récits bariolés abordent des sujets sérieux et des thèmes clés : la vie, l’amour, la justice, le bonheur, la souffrance, la mort… Galopin procède à l’expertise, évalue leur côte sentimentale. Exposées pour l’occasion, quelques reproductions de croquis d’enfance de personnages illustres mettent en relief le propos : ceux de Louis XIV, d’Annette Messager, de Topor lui-même… Des objets dessinés s’éveillent, sortent de leurs cadres et content la suite de leur histoire. De plus, dans l’intervalle entre deux représentations, Elzbieta anime l’atelier de dessins ouvert à tous; cette production vient nourrir le spectacle. Grandir sans oublier, cheminer en protégeant les rêves et les souvenirs de notre enfance, tel est le but de cette rencontre interactive pleine de sens.
«Le Bureau des Rêves oubliés »
« Le souvenir et le rêve s’écoulent l’un en l’autre comme de puissants fleuves. Ce qui se développe en eux existe éternellement. Ce qui au contraire arrive dans l’irréel monde quotidien est plein de grossières malices, de grossière souffrance, et passe » – dit Hans Arp . En poursuivant dans cette logique, les «Onirages », terme inventé par Agnieszka Taborska, font référence aux productions fantasmagoriques indispensables à notre équilibre. Le bureau des rêves oubliés réalise leur collecte à la frontière du sommeil et de l’éveil. Le propos s’inspire du livre iconographique, surréaliste et poétique La vie songeuse de Léonora de la Cruz « écrit en 2004 par Agnieszka Taborska, professeur de littérature surréaliste française aux USA. En accord avec ce récit, des collages étranges produits par l’américaine Selena Kimball, frappent par leur élégance graphique.
Léonora, carmélite espagnole de XVIIe siècle, fait des rêves prémonitoires qu’elle dicte à une autre religieuse assise à son chevet. Elle prédit la Révolution Française, le naufrage de Titanic et d’autres évènements notables. Durant les années 1920, la biographie de Léonora est découverte par Philippe Soupault chez un libraire boulevard Raspail. Sa vie influencera le groupe des surréalistes parisiens.
Elzbieta s’en inspire à son tour pour son installation-performance. Le décor austère mais rassurant évoque une cellule monastique et un cabinet de psychanalyste. Deux comédiennes, costumées en religieuses, sont en quête de fragments de rêves et d’utopie dans le creux des lits et dans les plumes d’oreillers. Leur mission insolite tient en une ligne: les restaurer, les animer, les maintenir accessibles. Elzbieta lance un appel à la collecte de nos rêves. Elle fabrique, en collaboration artistique avec la sculptrice Marcella Gomez, nos boîtes à songes exposées durant son installation-performance. Lui confier nos onirismes est un acte sensible : atteindre l’invisible, renouer avec la part indicible de soi. Car, ces « onirages » sont autant de points de départ vers d’autres manières d’être au monde.
Terre-Mère
Régulièrement, le Clastic-Théâtre de Lazaro joue face à un jeune public « Pour la Planète – marionnettes d’intervention pour le Développement Durable ». Constituée de courtes saynètes, la représentation aborde la surconsommation, la pollution de l’environnement, la sauvegarde de la biodiversité… Tête à Terre d’Elzbieta Jeznach s’y intègre parfaitement. La Terre est malade. Polluée par la chimie, submergée de déchets, assoiffée avec le réchauffement climatique, surexploitée jusque dans ses entrailles, son avenir est menacé. Mais, c’est aussi notre tête qui est en souffrance, polluée par des idées toutes faites, des désirs imposés, l’omniprésence des médias ou des addictions de toute sorte. Il est urgent d’agir! Avec humour et émotion, le théâtre de marionnettes oblige à réfléchir. « Nous n’avons qu’une seule tête, nous n’avons qu’une seule Terre ».
Au travers de la voix des marionnettes, l’idéalisme irraisonné enfantin fait mouche. Elzbieta Jeznach argumente : « L’enfant est un chevaliers de l’éthique, il nous rappelle à l’essentiel. Avec lui, l’univers est comme sous écoute. Son imaginaire empli de rêves utopiques, de désirs et de frayeurs est en réalité une quête d’amour et d’harmonie. L’enfant est un allié direct et inconditionnel des causes pures, morales et écologiques ». La philosophie des marionnettes qui s’en inspire nous souffle, peut-être, des réponses justes…
JOANNA KUJAWSKA
« Office of Lost Dreams » par Elzbieta Jeznach réalisé à Varsovie en Novembre 2010 lors du 5th International Festival of Puppet Theatre and Animated Film for Adults
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