Quatre stylistes polonaises, Irena Gregori, Joanna Błażejowska alias Aśka, Irena Lafferrerie et Pauline Rançon, travaillent à Paris. Dotées d’une volonté de fer doublée d’une intuition de la grâce féminine, elles réalisent avec brio, chacune à sa manière, leur passion : sublimer le corps féminin.
L’APGEF remercie chaleureusement notre correspondante Joanna Kujawska pour la mise à disposition de cet article intitulé Les Polonaises qui habillent des Parisiennes. Il a été publié dans les ECHOS DE POLOGNE n°114 de Novembre 2010 (www.echos.pl) et figure sur notre site avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Minimalisme ad hoc
« Ma femme sait ce qu’elle veut ! », c’est ainsi qu’Irena Gregori, styliste parisienne d’origine polonaise installée depuis 30 ans à Paris, définit ses clientes. Ayant achevé des études d’architecture, elle arrive dans les années soixante-dix de Varsovie, s’inscrit aux Beaux Arts pour se diriger ensuite vers l’univers de la mode.
Elle travaille successivement pour la marque Pierre d’Alby, la Nacelle, s’associe pour créer la griffe Tehen et, enfin lance sa propre marque éponyme. Ses collections remportant un vrai succès, elle ouvre en 1994 son premier magasin dans le 7earrondissement, rue du Bac. En 2000, elle opte pour un atelier-boutique dans un quartier en vogue, le Marais, tout en confiant la fabrication-confection de ses modèles à des ateliers polonais qu’elle suit de près. Chaque saison, elle propose sa propre collection ainsi que celle d’un créateur invité tel que Zyga, Bosabo ou encore Bali-Balo. En parallèle, elle travaille pour La Redoute, Monoprix, Opex… Un agenda bien chargé.
Son leitmotiv est le minimalisme ad hoc. La femme actuelle veut être tendance, mais pour la styliste, elle doit avant tout être juste. Irena Gregori associe donc l’audace de la mode aux exigences de la silhouette en structurant la forme du vêtement. «On ne triche pas avec sa silhouette, à une morphologie qui appelle le long, je réponds par la longueur appropriée, le style est une adaptation et l’élégance, une attitude», dit-elle en ajoutant avec conviction « le stylisme est un service ». Ainsi, dans son accueillant openspace rue Ferdinand Duval, dont on devient rapidement une habituée, on va chercher sa robe, son manteau tendance ou son chemisier s’harmonisant avec la jupe Gregori achetée il y a 6 mois. Ces vêtements-in, au toucher soyeux, aux couleurs irisées vertes, roses orangées, doublées de noir, sont taillés dans des matières nouvelles, des tissus intelligents infroissables ou indéfroissables, indéformables, réversibles. Ces petits bijoux conviennent à toutes les circonstances et, en un tour de main peuvent se rouler dans un sac de voyage. Irena aime autant innover que recycler. Pour preuve, ce somptueux manteau en astrakan gris-perle, cadeau de sa grand-tante polonaise : elle en a transformé le col, affiné la ligne, et l’a doublé de satin rouge, rêve de star.
La poésie du néo-romantisme slave
Aśka, ce diminutif devenu le nom de sa griffe désigne Joanna Błażejowska, une jeune styliste brillante et volontaire travaillant à Paris.
Elles nous reçoit dans son show-room au cœur d’un îlot d’artistes situé en face de la Cité de la Musique. Aśka, la néo-romantique slave, vient d’une famille d’artistes de Poméranie. Diplômée des Beaux-Arts de Gdansk, elle quitte Varsovie en 1993 emportant dans ses bagages ses premières créations. A Paris, elle rencontre un vif succès et constitue rapidement sa clientèle. S’enchainent les présentations de ses collections avec la participation aux salons et les défilés et sa collaboration avec des agents de haute-couture et du prêt-à-porter féminin. En 1998, la créatrice ouvre sa première boutique dans les Halles puis emménage place des Vosges.
Aujourd’hui, sa clientèle est fidélisée et étendue. Ses modèles sont distribués dans plusieurs dizaines de points de vente français et européens, des extensions se préparent dans son pays natal. De nombreuses clientes suivent ses collections annuelles et attendent avec impatience la sortie du nouveau manteau à large encolure, ou de la nouvelle robe au décolleté plongeant, à tel point qu’elles réclament «les mêmes,… mais différents!».
Sa ligne, ultra-féminine et poétique, est à la fois élégante, glamour et bohème. Aśka coule ses silhouettes dans des matières fluides. Amoureuse des étoffes moelleuses et des matières naturelles telles que la mousseline, la crêpe de soie, le coton froissé, le lin, le voile transparent, la laine bouillie, elle superpose ces tissus. Leur texture fine et souple invite à créer des drapés asynchrones. Tantôt effilochés affichant une élégance contemporaine, tantôt coupés en biais aboutissant à une silhouette gracieuse, ses créations dégagent une impression de mouvement fluide. Elle crée deux collections par an, chacune composée de cinquante modèles. Leur réalisation est une affaire de famille. C’est la mère d’Aśka qui dirige l’atelier de confection situé à Gdynia. La teinture, le tissage de laine et de coton et la couture y sont réalisés avec le plus grand soin pour créer ces pièces d’art inimitable du romantisme.
Vêtir pour sublimer le corps féminin
Forte de sa formation artistique à l’Académie des Beaux-Arts, spécialisation peinture à Cracovie, Irena Lafferrerie se lance, dès son arrivé à Paris en 1972, dans la création de tissus, d’imprimés et d’accessoires. Associée en 1982, elle travaille pour Lagerfeld, Chloé et d’autres bureaux de style tendance. A cette même époque une collaboration étroite et régulière se noue avec la maison japonaise Itokin distribuant une vingtaine de marques occidentales à Osaka : tous les mois Irena Lafferrerie leur envoie des croquis et des échantillons de ses projets. Quelques années plus tard, la styliste s’installe seule en lançant sa propre griffe portant son nom. Aujourd’hui, elle fabrique ses modèles en Pologne et les propose dans plusieurs points de vente branchés en Europe, comme la boutique Marie Brunon, rue Vavin à Paris.
Irena habille et sublime le corps. « En premier, je dessine mon idée, je la travaille ensuite sur le mannequin, mais c’est le tissu qui a le dernier mot », dit-elle. A l’opposé de la saturation baroque, ses silhouettes classiques, sobres et élégantes présentent une esthétique pure, structurée, voire géométrique. La rigueur de la coupe taillée dans des tissus de noble qualité s’accompagne de l’emploi de couleurs foncées : noir, gris anthracite, brun… Elle crée différents volumes en travaillant l’asymétrie et en bougeant les lignes, avec une prédilection pour la diagonale.
Mais actuellement, son intérêt principal se porte de plus en plus sur la transmission de son expérience et de son savoir. Tous les trois mois, elle quitte sa somptueuse maison d’architecte en banlieue sud de Paris, pour se rendre à Cracovie où elle enseigne depuis trois ans à l’école privée du style et de l’image Artystyczna Alternatywa. Elle y tient son auditoire en haleine expliquant différentes techniques de structuration du vêtement, analysant le corps en mouvement, abordant la question du style, du kitsch, du décalé, de l’aveuglement par la mode.
« A chacun son style » rappelle-t-elle, « c’est une question individuelle, une question clé, une question de bien-être ». Elle enseigne aux étudiants avertis, et aux adultes qui souhaitent compléter leur formation de base : psychologues, comédiens, mannequins, avocats… l’esthétique du mouvement, du vêtement et du maquillage. Elle partage son expertise de la décoration d’intérieur et du design, tout un savoir que l’on n’enseigne ni au lycée ni à la faculté. Et c’est précisément pour cette raison qu’elle approfondit ses recherches et ses analyses et réalise une multitude de croquis en vue d’éditer un manuel de style.
L’art de l’élégance
La grande constante dans les créations de Pauline Rançon correspond à la devise: « faire honneur à la grâce féminine». Pauline est une toute jeune et talentueuse artiste-styliste parisienne.
Née à Paris, de mère polonaise artiste-plasticienne et de père français musicien et chef d’entreprise, elle a grandi dans une véritable effervescence de créativité. De plus, elle sait entreprendre. Diplômée en 2008 de l’École Supérieure des Arts et Techniques de la Mode ESMOD, où elle a étudié dessin, stylisme et création aussi bien que fashion business, elle se lance aussitôt dans la création de robes pour concertistes et élargi rapidement ses compétences aux robes d’apparat et de mariage. Elle compte à son actif plusieurs shootings prestigieux : tenues pour harpistes, robes de gala pour quatre saisons… Ses tissus de prédilection au toucher soyeux et à l’aspect élégant, toujours en fibre naturelle, s’y prêtent admirablement. Ce sont le crêpe de soie, la mousseline de soie et de coton, la soie sauvage ou le lin irisé. Ses créations épousent parfaitement la silhouette lui offrant un atout de séduction inégalé.
Aujourd’hui, Pauline dirige à la baguette son entreprise de stylisme. En janvier 2012, elle s’installe dans son Atelier de Création Pauline Rançon au 44, rue de Fleurus dans le 6e arrondissement de Paris. Son showroom fonctionne en partenariat avec la boutique Au Grenier d’Anaïs inaugurée à la même adresse. On y trouve en dépôt-vente des vêtements et des accessoires de marque. Entre création, customisation et commercialisation, les deux enseignes ont d’emblée fonctionné en synergie.
C’est en pleine complicité avec ses clientes, au travers du véritable concept du « sur mesure à l’unisson », que Pauline sublime avec harmonie et ingéniosité la silhouette féminine. Pour chaque cliente, elle prend le temps de découvrir sa personnalité, ses goûts, son maintien, sa démarche, avant de proposer une allure et un modèle. Ensemble, elles parcourent le Marché Saint Pierre, royaume de tissus parisien. Puis, Pauline réalise la composition et accorde les accessoires. Plus qu’une tenue, elle invente un langage propre à chaque femme. Telle cette robe de mariée pour harpiste, où les cordes de harpe ont été intégrées en guise de crinoline. Sous les doigts de Pauline Rançon, silhouette féminine rime plus que jamais avec œuvre d’art.
Joanna Kujawska
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Pour aller plus loin:
> www.irenagregori.com
> www.askaparis.com
> irena.lafferrerie(at)gmail.com
> www.paulinerancon.com