A un peu plus d’an du début de l’Euro 2012 (8 juin-1er juillet), organisé par l’Ukraine et la Pologne, l’UEFA commence à sérieusement s’inquiéter. Mardi, elle a répété ses craintes face à la menace du hooliganisme polonais, lui qui s’est à nouveau brutalement fait remarquer le week-end dernier, lors d’un match amical face à la Lituanie, où une soixantaine de supporteurs polonais ont été arrêtés après des débordements. « Nous sommes inquiets mais je sais que le gouvernement polonais est également inquiet, a réagi Martin Keller, responsable à l’UEFA du suivi de l’Euro. Nous n’allons pas laisser une minorité gâcher le plaisir d’une majorité. »

Plus que jamais, le problème du hooliganisme affole. Patrick Mignon, sociologue du sport et spécialiste du sujet, rappelle que les mots de l’UEFA relèvent du »discours obligé », tout en reconnaissant que cette fois, ils ont une résonnance plus forte que d’habitude. « Le spectre du hooliganisme plane toujours sur les événements internationaux de football. Il fait partie des discours obligés. Mais c’est vrai que dans la géographie actuelle du hooliganisme, les pays que l’on craint le plus sont les pays de l’Est. La chute du communisme a fait exploser des barrières de contrôle social et idéologique. Les replis nationalistes et l’antisémitisme s’expriment ainsi avec violence et inquiètent. D’autant que l’UEFA a des doutes sur les qualités d’organisateur de l’Ukraine et de la Pologne, [inexpérimentées] en la matière. »

LE HOOLIGANISME POLONAIS, « UNE AGRÉGATION DE SITUATIONS »

Même si les études et donc les chiffres manquent, il est certain que le hooliganisme polonais, solidement implanté dans la culture des clubs, est un des plus vivaces d’Europe. Il s’est nourri du fait que les pouvoirs publics ont souvent fait preuve de négligence, et parfois de complaisance, avec lui, comme l’explique le sociologue William Nuytens, auteur deL’Epreuve du terrain, qui vient de paraître aux Presses universitaires de Rennes. « Il y a des raisons d’être inquiet, parce que la législation en matière de régulation des comportements des supporteurs en Pologne n’est pas aussi formalisée que dans la plupart des pays occidentaux. Aussi bien au niveau national que dans chaque club, où les situations sont très hétérogènes. Les clubs riches s’inspirent des politiques mises en place en France, en Belgique et en Allemagne, tandis que la grande majorité des clubs n’en sont qu’aux prémisses de la régulation. »

Contrairement à certains de ses voisins d’Europe de l’Est, le hooliganisme polonais n’est pas à proprement parler un mouvement nationaliste homogène animé par une idéologie. De plus en plus proche des groupuscules politiques et de la criminalité organisée, le mouvement conserve toutefois ses caractéristiques historiques. « Dans un pays comme la Pologne, le niveau de vie moyen augmente et les inégalités deviennent plus difficilement acceptables, constate Nuytens.Le football devient le terrain d’expression privilégié de ces inégalités. » Le sociologue poursuit : « Le hooliganisme n’est pas aussi formalisé et organisé qu’ailleurs. Il y a une assise commune : il est masculin, juvénile mais sa dimension politique n’est pas très marquée. Certains leaders de groupe sont politisés mais il n’y a pas d’idéologie. L’antisémitisme et la xénophobie sont latents mais les groupes sont surtout formés par une agrégation de situations. »

LE GOUVERNEMENT POLONAIS ANNONCE DES MESURES

Ce qui limite les raisons de s’inquièter ? Huytens ne le croit pas : « Cela veut seulement dire que les débordements sont instables et plus imprévisibles que dans le cas d’un mouvement très politisé. Un autre souci, c’est la privation d’un spectacle sportif d’envergure au niveau local. Les stades sont le territoire de ces supporteurs et ils vont en être privés pendant la compétition. » Pour autant, comme l’explique Patrick Mignon, le risque de violence dépend de tout un faisceau d’éléments, susceptibles de faire déborder la marmite lors d’un événement international. « Le hooliganisme lors des matches de sélections nationales est très différent de celui des clubs. Tout dépendra par exemple de la présence éventuelle de hooligans adverses et de celle de certaines équipes. La participation ou non d’Israël et l’antagonisme avec l’Allemagne pourraient entraîner des violences par exemple. »

Face aux craintes de l’UEFA, la Pologne assure prendre les choses en main. Elle a annoncé une série de mesures destinées à combattre la violence dans ses stades : de la mise en place d’une surveillance électronique des interdits de stade (qui sont environ 1 800) pendant la compétition à la création d’un service de police consacré à la lutte contre le hooliganisme, en passant par des décisions polémiques, comme l’utilisation de la vidéoconférence pour juger les supporteurs violents immédiatement après leur arrestation. « Ils vont sans doute réussir à nettoyer les stades de la violence mais le problème ne sera pas réglé, prédit William Nuytens. A la télévision, peut-être qu’on n’y verra rien mais les violences se déplaceront, peut-être même tout près des stades. Le risque est réel. »


Source: Le Monde du 31 mars 2011.

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